Il faut vivre avec le virus. C’est le nouveau mot d’ordre. On dirait une chanson de Francine Raymond, écrite par Luc Plamondon. Il faut vivre avec celui qu’on aime. Sauf que dans ce cas, c’est plutôt, il faut vivre avec celui qu’on n’aime pas.
Qu’est-ce que ça veut dire, vivre avec le virus ? Ça fait deux ans qu’on fait tout pour vivre sans lui. En le fuyant. En restant dans notre bulle. En n’allant nulle part. En le tenant à l’écart. Et là, soudainement, on va agir autrement ? D’abord, vivre avec quelqu’un, ça se fait à deux. Il faudrait qu’il le sache, le virus, qu’on a décidé de faire volte-face, volte-face masquée, mais volte-face quand même. Comment on fait ça ? On lui envoie un texto :
« Allô, virus, es-tu là ?
— HAN ! QUOI ? C’EST TOI ! BEN SÛR, QUE JE SUIS LÀ ! ÇA FAIT DEUX ANS QUE JE SUIS LÀ ! QUE JE TE BOMBARDE DE TEXTOS AVEC DES VIRUS, TOUS LES JOURS ! TU NE M’AS JAMAIS RÉPONDU ! TU NE M’AS JAMAIS CLIQUÉ DESSUS ! TU M’AS TOUJOURS GHOSTÉ ! ET LÀ, TU ME RÉPONDS, ENFIN ! J’EN REVIENS PAS !
— Te fais pas d’idées, je veux juste qu’on apprenne à vivre ensemble.
— VIVRE ENSEMBLE ! OH MY GOD ! YEAH ! AIE, T’ES SPÉCIAL, TOI ! PENDANT DEUX ANS, TU T’ES EMPÊCHÉ D’ALLER AU RESTAURANT, AU CINÉMA, AU GYM, EN VOYAGE, POUR ÊTRE CERTAIN DE NE PAS ME RENCONTRER, PIS LÀ, BANG DE MÊME, TU VEUX QU’ON VIVE ENSEMBLE ? DONNE-MOI TON ADRESSE, J’ARRIVE !
— Attends… Attends un peu. Je veux qu’on vive ensemble, mais pas vivre ensemble, vivre ensemble. Tu comprends ?
— NON.
— C’est pour ça qu’il faut apprendre à vivre ensemble. Il faut trouver une nouvelle façon de vivre ensemble. Il ne faut pas reproduire le vieux modèle des gens qui vivent ensemble.
— TU VEUX QU’ON FORME UN COUPLE OUVERT ?
— Oui, un couple ouvert avec les fenêtres ouvertes, surtout.
— ÇA VEUT DIRE QUOI ?
— Ça veut dire que le passeport vaccinal ne sera plus exigé nulle part. Alors, on va pouvoir aller au cinéma.
— ON VA POUVOIR ALLER VOIR THE BATMAN ENSEMBLE ?
— Oui, mais j’aimerais mieux que tu ne t’assoies pas à côté de moi.
— ON PEUT ALLER AU CINÉMA ENSEMBLE, MAIS ON NE PEUT PAS S’ASSEOIR ENSEMBLE ?
— C’est ça.
— TU ME TRAITES COMME UNE MAÎTRESSE OU UN AMANT !
— Si on veut…
— TU NE VEUX PAS QUE QUELQU’UN NOUS POIGNE ENSEMBLE ?
— C’est pas qu’on nous poigne ensemble qui me dérange. Ce qui me dérange, c’est de te poigner.
— TU VEUX VIVRE AVEC MOI SANS JAMAIS ME POIGNER ?
— T’as tout compris.
— TU VEUX UNE RELATION SANS RELATIONS ?
— Exactement.
— T’ES UN PEU PHOQUÉ…
— Aie, virus, il faut que tu me comprennes ! Ça fait deux ans que tu ne me lâches pas, que tu es après moi, que tu ne t’en vas pas. J’ai tout fait pour que tu débarrasses. J’ai tout fermé. Je me suis confiné. Je me suis même fait vacciner trois fois pour que tu disparaisses, pis tu es encore là.
— JE T’AAAAIIIIME !
— Tu ne m’aimes pas. Tu as juste besoin de moi pour ne pas mourir. Tu es un profiteur !
— BEN LÀ, VEUX-TU QU’ON SE CHICANE ? CE N’EST PAS COMME ÇA QU’ON VA APPRENDRE À VIVRE ENSEMBLE !
— Je sais, je sais. Le problème de notre relation, c’est que toi, tu as besoin de mon corps pour ne pas mourir et moi, si tu prends mon corps, je risque de mourir.
— ON EST TELLEMENT ROMÉO ET JULIETTE !
— J’aimerais mieux qu’on soit comme Brad et Angelina. Séparés et vivants.
— TU VEUX QU’ON VIVE ENSEMBLE, MAIS COMME DES EX. ON PEUT FRÉQUENTER LES MÊMES ENDROITS, MAIS ON GARDE NOS DISTANCES.
— En plein ça. On se tolère. Estime-toi chanceux qu’on en soit rendus là. C’est grâce à la vaccination. Sans ça, je n’aurais jamais pris le risque de te croiser. Avec trois doses, tu me fais moins peur. Mais pour aider, si tu pouvais arrêter de te transformer…
— SI JE CHANGE TOUT LE TEMPS, C’EST DE TA FAUTE, TU NE M’AIMES PAS COMME JE SUIS, ALORS J’ESSAIE DE VARIER.
— Plus tu es variant, plus je m’éloigne. Reste comme tu es.
— M’A ESSAYER.
— Bon ben, en espérant que ça va ben aller.
— QUOI ? C’EST DÉJÀ FINI ? TU FAIS QUOI CE SOIR ? RESTO ? CINÉ ? THÉÂTRE ?
— …
— TU ME RÉPONDS PUS ?
— …
— VIVRE ENSEMBLE PAS ENSEMBLE ! HÉ QUE LES HUMAINS, C’EST COMPLIQUÉ ! »