Les hauts et les bas du trèfle dans la pelouse
Voici un survol rapide de l’histoire rocambolesque du trèfle blanc (Trifolium repens), qui est passé d’un grand ami du gazon à une mauvaise herbe à abattre à, de nouveau, un grand ami du gazon. Comment cela se fait-il? Lisez et vous comprendrez!500 ans de popularité
Le trèfle a toujours fait parti de la pelouse, même à ses débuts. Photo: northlondonbowlingclub.co.ukDepuis l’avènement des pelouses à la Renaissance, le trèfle blanc a toujours fait partie des plus beaux gazons du monde en même temps que les graminées. Jusqu’à dans les années 1950, il était considéré normal d’inclure une part de graines de trèfle dans tous les mélanges de semences de gazon.
Au 14e siècle, bien sûr, personne ne savait pourquoi les graminées poussaient toujours mieux en compagnie de plantes de trèfle, mais la différence était si évidente que cela sautait aux yeux. Un gazon parsemé de trèfle était plus verdoyant, souffrait moins de la sècheresse et des ravages d’insectes et était moins infesté de plantes indésirables comme les chardons.
Aujourd’hui, nous comprenons un peu plus la raison pour le succès des gazons mélangeant graminées et trèfle.
Nodules fixateurs d’azote sur les racines du trèfle blanc. Dans la photo à droite, un nodule est coupé en deux. La coloration rose indique la fixation d’azote. Photo: sciencelearn.org.nzEntre autres, nous savons que, comme le trèfle est une légumineuse, il vit en symbiose avec des bactéries qui fixent l’azote atmosphérique et le rendent disponible au trèfle, mais aussi aux plantes voisines. Et stimule alors la croissance des graminées, même en l’absence d’engrais. Quant à la moindre présence de mauvaises herbes, cette abondance d’azote donne un gazon plus dense, ce qui laisse moins de place aux indésirables.
Autre détail: grâce à ses racines profondes, le trèfle est plus tolérant à la sècheresse que la plupart des graminées et reste vert même en période de sècheresse. Comme les systèmes d’irrigation fonctionnels n’existaient pas avant le 20e siècle et que les gazons n’étaient pas arrosés, c’était un facteur important. Et le trèfle résiste très bien aux intempéries aussi (neige, pluie, inondations, etc.) et peut pousser presque partout sauf dans les régions très arides, réussissant bien notamment dans les zones de rusticité 3 à 10.
Autre avantage, le trèfle est de croissance relativement modeste, poussant moins vite que les graminées, et donc sa présence n’oligeait pas à augmenter la fréquence de tonte.
De plus, le trèfle attirant peu les insectes nuisibles (la plupart des insectes des gazons comme les pyrales, les vers blancs et les punaises velues sont avides de graminées, mais ne veulent rien savoir du trèfle), une pelouse «entréflée» avait nécessairement peu de problèmes d’infestations de ce type, car ces insectes sont surtout attirés par les monocultures: des gazons uniquement composés de graminées.
Les belles fleurs du trèfle ajoutent à leur attrait. Photo: 4.bp.blogspot.comEt les jardiniers de l’époque appréciaient la présence des magnifique petites fleurs blanches du trèfle qui décoraient le vaste tapis vert jugé autrement trop monotone.
Donc, pendant les 500 premiers ans de la pelouse, personne n’aurait pensé traiter le trèfle de mauvaise herbe: c’était un élément de base d’une pelouse en santé.
L’ami des gazons devient mauvaise herbe
L’herbicide 2,4-D fut le premier «herbicide de pelouse», donc capable de tuer les plantes à feuilles larges, mais sans nuire aux graminées. Photo: doitbest.comPuis vinrent les années 1950. Une multinationale productrice de produits chimiques, Dow Chemical, avaient réussi à développer un nouveau produit, l’herbicide sélectif 2,4-D, qui pouvait supprimer les «mauvaises herbes» dans les gazons sans tuer les graminées. En effet, il ne touchait qu’aux plantes à feuilles larges et laissait les graminées, à feuilles minces, relativement intactes. Il y avait la possibilité de faire des milliards de dollars de profit si l’on réussissait à vendre ce produit (et d’autres herbicides similaires) aux propriétaires de pelouse. Mais le 2,4-D tuait aussi le trèfle que les gens aimaient. Que faire alors?
Les compagnies ont décidé de lancer une campagne de publicité intensive pour convaincre les propriétaires que le trèfle blanc était une mauvaise herbe qu’il fallait détruire. Ils ont d’ailleurs dû dépenser des millions pour persuader les jardiniers peu convaincus.
Ce livre révèle le programme conçu pour diaboliser le trèfle dans le gazon. Photo: amazon.comJustement, ce n’était pas facile au début de convaincre les jardiniers expérimentés d’abandonner le trèfle. Voici ce qu’a écrit à ce sujet celui qui avait introduit le 2,4D sur le marché, le Dr R. Milton Carleton:
«L’idée que le trèfle blanc puisse être une mauvaise herbe sera tout un choc pour les jardiniers expérimentés. Je peux me souvenir que la qualité des mélanges de semences à gazon était jugée par le pourcentage de graines de trèfle qu’ils contenaient. Plus ce nombre était élevé, meilleur était le mélange… Je me rappelle que, jusqu’à récemment, les jardiniers entretenaient avec soin leurs pelouses de trèfle. Le regard satisfait sur le visage du propriétaire fier dont la pelouse était la plus belle du voisinage était vraiment quelque chose d’unique.» (Traduit de New Way to Kill Weeds in Your Lawn and Garden, de R. Milton Carleton, 1957. Arco Publishing Co., N.Y.)
Et ce, de la bouche du père du 2,4-D! Il concluait cependant que les temps avaient changé et que le moment était venu pour abandonner le trèfle comme élément d’un beau gazon; que les herbicides étaient la voie de l’avenir.
Après 50 ans de suppression
Il temps de réinviter le trèfle dans nos pelouses. Photo: plantsoftheworldonline.orgMais les temps ont encore changé. Après plus de 50 ans d’utilisation, les herbicides miraculeux du Dr Carleton ce sont montré être des tueurs silencieux et ont causé un tort considérable à notre environnement, à tel point qu’ils sont maintenant bannis dans plusieurs pays. Il me semble qu’il est donc temps de mettre de côté les herbicides toxiques à l’environnement et de regarder de nouveau le trèfle comme un élément utile, voire essentiel, d’une belle pelouse.
Mais il est difficile d’effacer 50 ans de mensonges (les Allemands de l’Est en savent quelque chose). Les multinationales des traitements de pelouse ont tellement bien réussi leur propagande, et d’ailleurs continuent de la promouvoir, que la plupart des gens croient encore que le trèfle est une mauvaise herbe quand il pousse dans le gazon. Il sera difficile de les convaincre du contraire.
L’idée fait cependant son chemin et de plus en plus de propriétaires sont de nouveau fiers de leurs «pelouses entréflées». L’été dernier, dans l’est du Canada, on a vu les gazons de graminées presque détruits par une combinaison de sècheresse, de canicule et d’infestations d’insectes alors que les gazons riches en trèfles des terrains voisins sont souvent restés en excellent état. Ces pelouses restées vertes ont fait bien des jaloux!
Pelouse avec micro-trèfle en avant plan. Remarquez comme elle est plus verte que le gazon de graminées voisin. Photo: whygoodnature.comMême, on voit de plus en plus de gazons entièrement composés de trèfle, notamment de micro-trèfle (Trifolium repens ‘Pipolina’), une sélection qui nécessite moins de tonte qu’une pelouse de trèfle blanc ordinaire. Le phénomène de la pelouse de trèfle prend de l’ampleur partout dans nos villes et banlieues.
Avisez votre compagnie d’entretien de pelouse
Si vous engagez une compagnie d’entretien de pelouse et vous considérez la présence de trèfle important, il est vital d’insister sur ce fait, car ils utilisent toujours sur les pelouses des herbicides qui tueront le trèfle que vous avez si soigneusement semé. En contournement de façon inventive les lois, elles en appliquent même dans les régions où les pesticides considérés comme strictement cosmétiques sont théoriquement bannis. Il serait triste de voir vos petits trèfles empoisonnés.
Vive le trèfle dans le gazon. Qu’il règne longtemps!
Larry Hodgson
Journaliste et blogueur horticole, auteur de 65 livres de jardinage, conférencier et vulgarisateur hors pair, le jardinier paresseux, Larry Hodgson, nous a quitté en octobre 2022. Reconnu pour sa grande générosité, sa rigueur et son sens de l'humour, il a touché plusieurs générations de jardiniers amateurs et professionnels pendant 40 ans de carrière. Grâce à son fils, Mathieu Hodgson, et une équipe de collaborateurs, le blogue continuera sa mission. Le blogue le jardinier paresseux offre plus de 2800 billets aux amateurs de jardinage, toujours dans le but de démystifier le jardinage et le rendre plus facile aux participants. Si vous avez une question sur le jardinage, entrez-la dans Recherche: la réponse s’y trouve probablement déjà.
jardinierparesseux.wordpress.com
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