Dans «Le secret des Vietnamiennes», l’auteure bien connue nous propose encore une fois des pages de bonheur: les recettes de son pays d’origine enrichies de portraits des femmes de sa vie.
Nicole Labbé
L’auteure Kim Thúy qui publie un recueil de recettes, voilà de quoi exciter ses innombrables fans, qu’ils soient attirés ou non par ce genre littéraire. «Ce n’est pas un livre de cuisine ordinaire», m’avait avertie la maison d’édition avant que je rencontre Kim. La romancière elle-même, on le sait, est tout sauf ordinaire. Vive, éloquente, attachante… Résultat: un entretien loin d’être banal.
Tout de go, en m’accueillant gentiment chez elle un lundi matin, Kim me confie qu’elle est fatiguée. Elle a fait un aller-retour à New York durant le week-end pour participer à la cérémonie de fiançailles d’un de ses cousins. En préparant du thé, elle me raconte. Une soixantaine de ses proches réunis pour l’événement. Les plateaux rouges contenant des présents pour la famille de la future épouse. Du monde partout dans la maison de sa tante numéro 6. (Pourquoi «numéro 6»? La réponse plus bas…) Les poulets oubliés, calcinés dans le four. La préparation du repas, sous sa supervision, avec ce qu’elle déniche dans le frigo. Les membres du clan couchés pour la nuit où ils le peuvent, ici et là dans les pièces. Et Kim qui décide d’aller dormir entre sa tante et son oncle, dans leur grand lit. J’écarquille les yeux. Elle rit. «C’était l’endroit le plus confortable!»
Des tantes et des chiffres
Pourquoi Kim Thúy désigne-t-elle ses tantes par des chiffres? Il s’agit d’une coutume, comme elle l’explique dans l’introduction de son livre: «Dans le sud du Vietnam, nous nous désignons souvent par le chiffre qui représente l’ordre de notre naissance dans la famille. Étant donné que le 1 est réservé au notable du village, le compte commence à 2. Ma mère est la deuxième enfant, c’est pourquoi elle est appelée Grande Sœur 3 par ses plus jeunes sœurs et, moi, j’appelle mes tantes par leur chiffre: 4, 5, 6, 7, 8. Ainsi, la hiérarchie s’impose dans la conversation tout comme l’autorité.»
Elle enchaîne en m’expliquant, par le récit de maints faits vécus, l’importance des liens familiaux dans la communauté vietnamienne. Le soutien inconditionnel. Comment tous peuvent donner leur avis sur les choix de vie de leurs neveux, nièces, cousins, cousines, qu’il s’agisse de décisions professionnelles, de liens conjugaux ou de l’éducation des enfants – mes yeux s’arrondissent de nouveau. «La responsabilité est commune. Chacun est responsable du bonheur des autres.»
«Souvent, poursuit Kim, on me fait remarquer: “Ta famille doit être fière de toi.” Les Vietnamiens ne disent pas cela, mais plutôt: “Tu as une belle vie, car tes parents, tes ancêtres étaient bons. Toi aussi, sois une bonne personne. Pour tes enfants.”»
«La transmission des traditions se fait au quotidien, par osmose, continue-t-elle. Le problème, ici, c’est qu’on cherche l’efficacité. Un exemple: faire manger les petits à part. C’est efficace, plus rapide et ils ne s’ennuient pas. Mais à table, toutes générations confondues, les enfants apprennent à s’asseoir, à tenir leur couteau, à bien manger. Et ils s’ennuient parfois en écoutant des conversations qui leur plaisent moins – ce qu’ils auront inévitablement à subir une fois adultes! Ils absorbent ainsi plein de choses. L’apprentissage, ça ne se fait pas rapidement. Bien sûr, en avançant en groupe, on chemine plus lentement. Toutefois, on va plus loin.»
Cela fait bien quatre heures que nous bavardons. Notre discussion est passionnante, mais nous n’avons toujours pas échangé à propos de son livre de recettes. Dans celui-ci, m’avait souligné son agent, elle parle de la transmission, celle portée par les femmes de sa famille, c’est-à-dire sa mère et ses tantes. Je ne sais comment notre conversation en arrive là, mais Kim, qui a fui le Vietnam avec ses proches, glisse quelques phrases sur sa vie de boat people. «Dans le bateau, nous, les enfants, étions installés sur les jambes des parents. Il n’y avait pas d’autre place. Nous attendions. De mourir… Je me trouvais sur les jambes de Tante 6 et d’Oncle 6, alors pour moi aller me coucher dans leur lit aujourd’hui…» Des larmes mouillent ses yeux. Et les miens. Je comprends alors que, depuis le début, elle me parle de l’essence même de son livre.
Dans la préface de ce bouquin, elle écrit: «Nous n’avons pas l’habitude de verbaliser nos joies, et encore moins notre affection. Nous empruntons la nourriture comme outil pour exprimer nos émotions. Mes parents ne me disent pas “Tu nous as manqué” mais plutôt “J’ai préparé des rouleaux de printemps”, sachant que ce plat me plaît en tout temps, en toutes circonstances.»
Si les chapitres regroupent de façon classique les mets par catégories (soupes, bols, grillades), chacun est dédié à l’une des «tantes mères» de l’auteure, comme elle les appelle. On découvre ces femmes, sa maman et ses tantes 4, 5, 6, 7 et 8, à travers quelques magnifiques photos et des petits textes touchants. «Je ne suis pas une chef, dit-elle. Je ne pouvais pas faire un livre contenant uniquement des recettes. Il faut une histoire derrière. La nourriture est toujours davantage que de la nourriture.» En présentant les ingrédients et les plats typiques de la cuisine vietnamienne, Kim Thúy rend hommage à celles dont elle a appris. Elle transmet à son tour ce patrimoine. Et plus encore. Elle envoie un message d’amour à ses parents, à sa famille tout entière. Et nous offre à tous un inestimable cadeau.
Un livre sans secret
La cinquantaine de recettes du livre de Kim Thúy sont simples. Ce sont des plats de tous les jours pour les Vietnamiens. Seuls quelques ingrédients sont moins connus, comme les feuilles de bétel, mais on peut s’en procurer dans les épiceries asiatiques. L’auteure a décidé de ne pas donner de substituts, question de préserver le goût original des mets. «Chaque personne trouvera au besoin un ingrédient de remplacement de son choix.» La styliste Nathalie Béland a assisté Kim dans la rédaction des recettes, et la réalisation des photos a été confiée à Sarah Scott. En supplément, le livre comprend les accords mets-vins de Michelle Bouffard et les accords mets-musique de l’animatrice Monique Giroux.
Le secret des Vietnamiennes, Trécarré, 29,95 $.
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