mardi 31 décembre 2019

Tendres rôtis de bœuf

CHIMIE ALIMENTAIRE

Tendres rôtis de bœuf





Lorsque j'ai envie de gâter vraiment des invités amateurs de bonne chère, je leur sers un bon rôti de côtes de bœuf savoureux, tendre et juteux à souhait. Pour les repas de tous les jours, je me tourne plutôt vers des rôtis plus abordables comme la ronde ou la pointe de surlonge. Immangeables, dites-vous ? Pas si vous connaissez la magie du rôtissage à basse température.

Pour mieux comprendre comment la cuisson peut attendrir la viande, penchons-nous d'abord sur les effets de la chaleur sur les fibres musculaires et le collagène, qui sont les deux principales composantes d'un rôti.


LES FIBRES MUSCULAIRES

Ces fibres sont les composantes principales de la viande. Il s'agit de longues cellules qui contiennent des protéines et beaucoup d'eau. Pendant la cuisson, les protéines de ces fibres coagulent - se resserrent - et expulsent l'eau qui les entoure, un peu comme on le ferait en essorant une serviette. Plus la température s'élève, plus il y a de jus qui s'évapore de la viande. Des recherches ont démontré que la viande commence à expulser son jus lorsqu'elle est encore saignante, c'est-à-dire dès que sa température interne atteint 55 à 60 °C (135 à 140 °F). Une viande qui atteint une température interne de 77 °C (170 °F) - un degré de cuisson « bien cuit » - aura perdu jusqu'à 40 % de son eau. Voilà pourquoi une viande trop cuite sera toujours sèche.

La recherche a aussi permis de découvrir un effet positif de la cuisson sur la viande. Il s'agit du phénomène de l'attendrissement enzymatique. Les fibres musculaires contiennent des enzymes qui s'attaquent aux fibres et les attendrissent. Ces enzymes ne sont actives que lorsque la température interne de la viande atteint entre 50 et 60 °C (130 et 140 °F). Plus la viande est maintenue longtemps à ces températures, plus elle sera tendre.


LE COLLAGÈNE

Cette autre partie importante de la viande est un mince tissu blanchâtre et élastique. Composé lui aussi de protéines, le collagène entoure les fibres musculaires. Ces fibres sont regroupées en faisceaux de plusieurs centaines, réunis à leur tour et enveloppés eux aussi de collagène, en plus grande quantité encore. Et le tout finit par former un muscle. Le collagène agit donc comme une sorte de gaine qui retient ensemble fibres et faisceaux. C'est cet assemblage qui détermine le « grain » d'une coupe de viande. Les muscles les plus sollicités chez l'animal - ceux du cou, de l'épaule, de la poitrine et de la cuisse - contiennent plus de collagène que les muscles qui le sont moins, comme ceux du dos et des côtes (la longe), ce qui en fait des coupes moins tendres.

Dans la viande crue, le collagène est coriace et très élastique. Heureusement, la cuisson l'attendrit. Avec la chaleur et l'humidité, les liaisons chimiques qui retiennent ensemble les molécules de collagène se défont et le collagène se transforme en gélatine, très facile à mastiquer.

Mais il y a un hic : cette transformation requiert une longue cuisson ou encore, une température élevée. Plus la cuisson sera longue, plus grande sera la quantité de collagène qui se transformera en gélatine et plus la viande sera tendre. Par contre, si on cuit la viande longtemps à température élevée, ses fibres musculaires se resserreront trop et expulseront tout leur jus. Et la viande sera sèche. Une cuisson parfaite de la viande exige donc des compromis.

LE RÔTISSAGE À BASSE TEMPÉRATURE

On a pris l'habitude de cuire les rôtis dans un four préchauffé entre 170 et 180 °C (de 325 à 350 °F). Cependant, de plus en plus de spécialistes de la cuisson des viandes préco-nisent une température plus basse, soit de 120 à 140 °C (250 à 275 °F). Pourquoi ? Parce qu'à cette température, la chaleur met plus de temps à passer de l'extérieur vers le centre du rôti. L'intérieur reste donc plus longuement dans la zone de température qui permet l'attendrissement par l'action des enzymes puis par la transformation du collagène en gélatine.

Autre avantage : avec une cuisson à basse température, la coagulation des fibres musculaires se fait plus lentement et moins d'eau est expulsée. On obtient une cuisson plus uniforme et une viande plus tendre, dont la couleur est pratiquement uniforme de part en part. Elle sera aussi très juteuse, à condition de ne pas la cuire au-delà d'une température interne de 71 °C (160 °F), ce qui équivaut à un degré de cuisson « à point ».

Le rôtissage à basse température n'a toutefois qu'un seul petit désavantage : la pièce de viande que l'on cuit de cette façon ne comportera pas de croûte brune et goûteuse, comme c'est le cas lorsqu'on la cuit au four plus chaud. Des solutions : amorcer la cuisson dans un four préchauffé à 260 °C (500 °F) pour 15 à 20 minutes ou faire brunir le rôti de tous les côtés dans une poêle avant de l'enfourner.


COUPES MOINS TENDRES : CUISSON À 140 °C (275 °F)

On trouve au comptoir des viandes des supermarchés un grand choix de rôtis de boeuf provenant de parties moins tendres. La pointe de surlonge, la croupe, l'extérieur et l'intérieur de ronde, par exemple, sont des rôtis souvent négligés et toujours offerts à prix très avantageux. Pour favoriser l'attendrissement par les enzymes et pour donner tout le temps requis au collagène pour se transformer en gélatine, ces coupes doivent absolument être cuites longuement à basse température. Idéalement, on les sert saignantes ou mi-saignantes, en tranches très fines. Voyez à cet effet la recette de rôti de bœuf facile et économique de Ricardo.


COUPES TENDRES : CUISSON À 170 °C (325 °F) OU 140 °C (275 °F)

Les rôtis provenant de coupes tendres comme la côte ou le filet contiennent peu de collagène. Avec eux, on n'a pas besoin de prendre des précautions particulières pour qu'ils soient attendris. Ils seront juteux à condition qu'on ne les cuise pas trop. Le Centre d'information sur le bœuf recommande simplement une cuisson dans un four préchauffé à 170 °C (325 °F). C'est une technique simple et éprouvée qui donne de bons résultats. Et si vous avez un peu de temps devant vous, faites-les cuire dans un four réglé à 140 °C (275 °F). Leur temps de cuisson sera prolongé, mais votre patience sera considérablement récompensée. La viande fondra littéralement dans la bouche !


COUPES CORIACES : CUISSON EN POT-AU-FEU

Les pot-au-feu, aussi appelés mijotés ou braisés, font appel à une technique de cuisson classique pour attendrir les rôtis provenant de coupes plus coriaces telles que l'épaule, la poitrine et la palette. La pièce de viande est dorée de tous les côtés dans une cocotte, et parfumée d'un liquide savoureux (bouillon, vin) et d'aromates (fines herbes, oignon, céleri). Il faut ensuite bien la couvrir et laisser mijoter longuement, jusqu'à ce qu'elle se défasse à la fourchette. On trouve un bon exemple de ce mode de cuisson avec le Mijoté de bœuf au whisky et au fenouil.


CHALEUR RAPIDE

Dans un milieu de cuisson humide comme celui d'un braisé, la chaleur est transmise beaucoup plus rapidement à la viande que dans un four sec. Le principe est le même que celui de la pomme de terre, qui cuit plus rapidement dans l'eau bouillante qu'au four, sans eau. Dans des conditions de chaleur élevée et d'humidité, les gaines de collagène qui entourent les fibres se transforment aisément en gélatine, ce qui permet aux fibres musculaires de se détacher les unes des autres.

Toutefois, avec ce mode de cuisson, les fibres de la viande rétrécissent, expulsent presque toute leur eau et deviennent sèches. Comment, alors, expliquer que les rôtis mijotés sont encore juteux ? En fait, il s'agit d'une illusion ! On a l'impression que la viande est juteuse parce que du liquide de cuisson s'est infiltré dans les espaces entre les fibres.

Alors que traditionnellement, les pot-au-feu sont cuits au four à 170 °C (325 °F), ils gagneraient à être cuits à 120 ou 140 °C (250 ou 275 °F). De cette façon, la viande risquerait moins de s'assécher. Combien de temps faut-il les faire cuire ? Difficile à dire… On y va selon la taille du rôti. Il faut poursuivre la cuisson jusqu'à ce que la viande se défasse à la fourchette, ce qui peut prendre entre trois et quatre heures.

Avec une cuisson à basse température, on obtient une cuisson plus uniforme et une viande plus tendre.


DEGRÉS DE CUISSON DE BOEUF

Saignant:
Température interne: de 57 à 60 °C (de 135 à 140 °F)

Mi-saignant:
Température interne: de 63 °C (145 °F)

À point:
Température interne: de 71 °C (de 160 °F)

Bien cuit:
Température interne: de 77 °C (de 170 °F)

Très bien cuit:
Température interne: de 82 °C (de 180 °F)

Après la cuisson d'un rôti, pour permettre une redistribution des jus du centre de la viande, plus humide, vers la périphérie, plus sèche, laisser reposer la viande quelques minutes est indispensable. Pendant cette période, la viande continue à cuire grâce à la chaleur qui est conduite de l'extérieur, plus chaud, vers l'intérieur, plus froid. Il faut donc sortir le rôti du four lorsque sa température interne est de 3 à 7 °C (de 5 à 10 °F) moindres que le degré de cuisson recherché. Couvrir le rôti de papier d'aluminium et laisser reposer de 15 à 20 minutes. Plus la pièce de viande est grosse, plus sa température grimpera pendant la période de repos.Indispensable : le temps de repos


FAUT-IL SAISIR LA VIANDE POUR SCELLER LE JUS À L'INTÉRIEUR ?

C'est un mythe ! On n'a qu'à penser au jus qui s'écoule de la viande lorsqu'on la laisse reposer avant de la servir pour s'en convaincre. Il y a par contre une très bonne raison de saisir le rôti : lui donner du goût ! Le brunissement de la surface du rôti, appelé « réaction de Maillard », donne à la viande un délicieux arôme grillé.


EN RÉSUMÉ
MODES DE CUISSON SUGGÉRÉS SELON LA TENDRETÉ DU RÔTI

Coupes tendres (à rôtir au four à 140 °C (275 °F) ou à 170 °C (325 °F)):
Contre filet
Côtes d'aloyau
Côtes
Faux-filet
Filet mignon
Haut de surlonge

Coupes peu tendres (à rôtir au four à 140 °C (275 °F)):
Bas de surlonge
Croupe
Extérieur de ronde
Intérieur de ronde
Noix de ronde
Pointe de surlonge

Coupes très peu tendres (mijoter au four en pot-au-feu à 140 °C (275 °F) ou à 170 °C (325 °F)):
Bas de palette
Côtes croisées
Épaule
Haut de palette
Palette
Pointe de poitrine


IL N'EXISTE MALHEUREUSEMENT AUCUN TABLEAU DE TEMPS DE CUISSON POUR LE RÔTISSAGE À 140 °C (275 °F). ON PEUT UTILISER LES TABLES POUR LA CUISSON À 170 °C (325 °F) COMME RÉFÉRENCE. ON DOIT TOUTEFOIS SAVOIR QU'UN TEL TABLEAU EST UTILE, MAIS N'EST PAS INFAILLIBLE.LE TEMPS DE CUISSON DES RÔTIS AU FOUR


Trop de variables telles que la présence d'os, la forme du rôti et sa température à l'enfournage peuvent affecter les temps de cuisson proposés. Il faut aussi noter que plus le rôti est gros, moins sa cuisson demandera de minutes par kilo. L'utilisation d'un thermomètre à viande constitue donc le moyen le plus sûr de garantir une cuisson parfaite de vos rôtis.


TEMPS DE CUISSON DES RÔTIS À 170 °C (325 °F)


Ces temps sont valables pour les rôtis froids, placés directement au four traditionnel préchauffé à 170 °C (325 °F)

Pour une cuisson mi-signante: 63 °C (145 °F). Sortir du four lorsque le thermomètre indique 57 à 60 °C (135 à 140 °F)
2 à 3lb / 1,1 à 4kg = 1 1/2 à 1 3/4 h
3 à 4 lb / 1,4 à1,8 kg = 1 3/4 à 2 h
4 à 6 lb / 1,8 à 2,7 kg = 2 à 2 1/2 h
6 à 8 lb / 2,7 à 3,6 kg = 2 1/2 à 3 h
8 à 10 lb / 3,6 à 4,5 kg = 3 à 3 3/4 h

Pour une cuisson mi-signante: 71 °C (160 °F). Sortir du four lorsque le thermomètre indique 65 à 68 °C (150 à 155 °F)
2 à 3lb / 1,1 à 4kg = 1 3/4 à 2 1/4 h
3 à 4 lb / 1,4 à1,8 kg = 2 1/4 à 2 1/2 h
4 à 6 lb / 1,8 à 2,7 kg = 2 1/2 à 3 h
6 à 8 lb / 2,7 à 3,6 kg = 3 à 3 1/2 h
8 à 10 lb / 3,6 à 4,5 kg = 3 3/4 à 4 1/2 h

NOTE : POUR UNE CUISSON SAIGNANTE, SOUSTRAIRE 30 MINUTES AU TEMPS DE CUISSON SUGGÉRÉ POUR LA CUISSON MI-SAIGNANTE.

Saisir d'abord le rôti dans une poêle ou le cuire dans un four préchauffé à 260 °C (500 °F) pendant 15 à 20 minutes. Cuire ensuite au four à 140 °C (275 °F). Pour déterminer le temps de cuisson, ajouter de 30 à 45 minutes au temps indiqué dans le tableau ci-dessus. Par exemple, pour un rôti de 1,5 kg (3 lb) mi-saignant, compter 1 heure, plus de 30 à 45 minutes, soit de 1 h 30 à 1 h 45.Temps de cuisson des rôtis à 140 °C (275 °F)


Christina Blais

Pour Christina Blais, vulgariser la chimie des aliments est simple comme de préparer une bonne omelette. Détentrice d’un baccalauréat et d’une maîtrise en nutrition, elle est chargée de cours depuis près de 20 ans au Département de nutrition de l'Université de Montréal et y enseigne les cours de « Science des aliments ». Depuis 2001, elle présente le fruit de ses expériences avec Ricardo dans le cadre de l’émission de télé de celui-ci, sur les ondes de Ici Radio-Canada Télé. Et les curieux peuvent aussi lire sa chronique Chimie alimentaire dans le magazine Ricardo à chaque paruti
on.

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