Un point de vue d’expert sur l’actualité
Chaque semaine, nous vous proposons une entrevue avec un expert de l’UdeS qui partage son point de vue sur un sujet de l’heure.
Prix Nobel de physique : point de vue d'un physicien
Cette semaine, nous apprenons que le prix Nobel de physique a été attribué à trois astrophysiciens américains. Rainer Weiss, Barry Barish et Kip Thorne ont été récompensés pour l'observation des ondes gravitationnelles, une avancée importante de la recherche qui confirme une prédiction d'Albert Einstein dans sa théorie de la relativité générale.
Entretien avec le Pr Julien Sylvestre de l’UdeS qui a collaboré à diverses étapes de sa carrière avec les trois récipiendaires.
Quelle est votre première réaction face à cette nomination?
C’est sans surprise pour moi, qu’ils se sont mérités le Prix Nobel de physique. Il fait suite à l'extraordinaire découverte faite par le projet Laser Interferometer Gravitational-Wave Observatory (LIGO) le 14 septembre 2015, et dévoilée publiquement le 11 février 2016. Pour la première fois, l'humanité a observé la subtile signature de la collision de deux trous noirs (respectivement 29 et 36 fois la masse du Soleil), à plus de 1,3 milliards d'années-lumière de la Terre. Ma première réaction lors de l'annonce de la découverte en a surtout été une de soulagement pour l'équipe du projet LIGO, dont j'ai fait partie de 1998 à 2004. Il faut comprendre que le projet LIGO a été conçu en 1972 par Rai Weiss; qu'il a été financé à grands frais par la NSF à partir de 1994; et qu'il a essuyé un barrage continu de critiques jusqu'à l'annonce de la découverte en 2016. Ironiquement, ces critiques étaient entièrement fondées: les collisions d'étoiles à neutron (comme le système binaire de Hulse-Taylor), qui étaient prédies comme la source principale d'observations par LIGO, n'ont pas encore été observées à ce jour. Ces critiques étaient à la fois complètement injustifiées : grâce au travail soutenu des centaines de scientifiques du projet LIGO sur plus de 45 ans, nous avons pu pour la première fois observer la gravitation dans des conditions extrêmes (la découverte de LIGO est l'événement le plus violent observé depuis le Big Bang). L'entreprise risquée du projet LIGO a réalisé ce qui était possiblement sa plus grande promesse : observer d'une manière nouvelle des systèmes qui n'étaient pas attendus (trous noirs de masses intermédiaires), et tester ainsi notre théorie de la gravitation (la relativité générale).
Pourquoi est-ce important? La relativité générale est notre meilleure théorie de la gravitation, de l'espace et du temps. Les détecteurs de LIGO testent cette théorie dans un régime incroyablement intense, qui pourrait éventuellement révéler ses failles et mener à une compréhension plus profonde de notre Univers.
J'ai eu le privilège de très bien connaître les acteurs du projet LIGO. Ils ont eu à surmonter une myriade de problèmes technologiques très difficiles et à endurer des décennies de doutes pendant qu'ils dépensaient des fonds publics. Ils l'ont fait parce que c'est ce que les scientifiques doivent faire. Pour l'extraordinaire élégance de leur découverte et pour le courage exemplaire de tous ceux impliqués dans le projet (incluant la NSF), ce Prix Nobel est pour moi une source de joie pour tant de collègues qui voient tellement d'efforts récompensés. Je leur ai d’ailleurs écrit le jour même de leur nomination pour les féliciter.
Quels sont vos liens avec ces chercheurs ?
J'ai fait mon doctorat au Massachusetts Institute of Technology (MIT) sous la supervision de Rai Weiss, de 1998 à 2002. Ma thèse portait sur le développement de méthodes d'analyses pour l'énorme quantité de données produites par la première génération de détecteurs LIGO. Mes travaux ont été parmi les premiers à fouiller dans les données de LIGO pour trouver des signaux provenant d'ondes gravitationnelles. À cette époque, les détecteurs n'étaient pas assez sensibles pour détecter les trous noirs observés aujourd'hui.
De 2002 à 2004, j'étais chercheur postdoctoral au Caltech, dans le groupe dont faisait partie Barry Barish et Kip Thorne. Mes travaux portaient sur l'utilisation de détecteurs multiples sur plusieurs continents, les premières études des méthodes de détection d'écho lumineux aux ondes gravitationnelles, et le détecteur spatial d'ondes gravitationnelles (LISA, alors un projet de la NASA).
Quel est l’apport du quantique dans le concept « d’ondes gravitationnelles » ?
Les détecteurs d'ondes gravitationnelles sont des instruments extrêmement sensibles, capables de détecter un changement de distance 25 000 fois plus petit que le diamètre d'un proton entre deux miroirs séparés de 4 km, lors du passage d'une onde. C'est à peu près comme mesurer la distance entre la Terre et l'étoile Proxima Centauri avec une précision inférieure à un centième du diamètre d'un cheveu. À cette échelle, la nature quantique de la lumière utilisée dans les détecteurs, c'est-à-dire qu'elle soit constituée de particules distinctes (les photons), se révèle sous forme de bruit qui limite la précision des mesures à hautes fréquences. Plusieurs chercheurs du projet LIGO développent une technologie qui manipule directement la nature quantique de la lumière pour réduire le bruit, augmenter la sensibilité des détecteurs, et permettre ainsi de voir des sources qui sont plus loin de la Terre (et donc d'augmenter le nombre de détections par année).
Dans un autre ordre d'idées, j'espère que les observations de la gravitation en champs forts réalisées par ondes gravitationnelles vont permettre de guider le développement de théories de la gravitation différentes de la relativité générale d'Einstein, et qui seraient plus faciles à quantifier. Une telle théorie quantique de la gravitation permettra peut-être un jour la réalisation du vieux rêve de la « Théorie du Tout » intégrant la gravitation au « Modèle standard ».
D’après vous, quelles seront les prochaines avancées dans ce domaine?
Malgré leur succès, les gens du projet LIGO continuent à travailler pour atteindre les cibles de performances fixées pour les détecteurs. Ceci permettra d'augmenter le nombre de détections, et possiblement d'observer des systèmes binaires plus légers (dont les fameuses étoiles à neutrons) ou plus lointains.
D'autres détecteurs, comme celui du projet Virgo en Italie, se sont récemment joints au projet. Une détection commune LIGO-Virgo a été faite au mois d'août 2017. L'ajout de détecteurs permet d'augmenter la capacité de positionnement de la source dans le ciel. Ceci ouvre la porte à l'identification « d'échos » lumineux aux ondes gravitationnelles. De telles identifications fourniraient beaucoup d'information sur l'environnement immédiat des sources d'ondes gravitationnelles.
Les détecteurs d'ondes gravitationnelles peuvent être vus comme un nouveau type de « téléscope » pour observer l'Univers. L'observation de supernova dans une galaxie proche ou même d'ondes « stochastiques »" provenant du Big Bang fournirait énormément d'information sur ces phénomènes extrêmes.
Les détecteurs d'ondes gravitationnelles peuvent être vus comme un nouveau type de « téléscope » pour observer l'Univers. L'observation de supernova dans une galaxie proche ou même d'ondes « stochastiques »" provenant du Big Bang fournirait énormément d'information sur ces phénomènes extrêmes.
Finalement, l'agence spatiale européenne a mené l'année dernière des tests de validation technologique dans l'espace pour un détecteur d'ondes gravitationnelles (LISA) qui serait placé en orbite autour du Soleil. Ce détecteur sera sensible aux collisions de trous noirs super-massifs (millions de masses solaire), comme celui situé au cœur de notre galaxie. De telles collisions seront visible à peu près partout dans l'Univers, et elles ouvriront une fenêtre de plus sur la gravitation (vraiment) extrême.
Julien Sylvestre est professeur au département de génie mécanique de la Faculté de génie de l’UdeS, il est également membre de l'Institut quantique et titulaire de la Chaire de recherche industrielle CRSNG-IBM Canada en encapsulation microélectronique pour l’échelonnement de la performance.
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